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L’exploitation commerciale de l’image des enfants sur les plates-formes en ligne : enfin une proposition de loi !

Publié le 02/09/2020 - mis à jour le 03/09/2020 à 9H18

Tifany Labatut docteur en droit privé

La multiplication des médias sociaux (YouTube, TikTok, Instagram) sur internet a fait émerger de nouvelles formes de travail, à l’image des « youtubeurs ». Parfois, les influenceurs tirent de ces activités d’importants revenus. C’est pourquoi certains parents ont vu dans ces plates-formes de partage de vidéos une bonne source de profit, et y exposent leurs enfants… Et ça fonctionne ! Les enfants influenceurs exercent parfois leur activité dans le cadre d’une relation de travail ou en dehors, mais ils perçoivent de gros revenus. Or dans les deux cas, ces activités ne sont pas réglementées. Sans cadre juridique protecteur, ces enfants influenceurs s’exposent quotidiennement à de nombreux risques (cyber-harcèlement, pédopornographie, absence de garantie sur la durée de travail, de protection de leurs revenus, etc.). Ainsi, pour lutter contre ce fléau, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi relative à l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plates-formes en ligne. Procédons à son étude.

1. C’est une grande nouvelle : l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le 12 février 2020, la proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plates-formes en ligne. Ce texte composé de 8 articles a pour principaux objectifs :

·         d’étendre le régime d’autorisation individuelle préalable (dont relèvent actuellement les enfants artistes) aux enfants influenceurs exerçant leur activité dans le cadre d’une relation de travail ;

·         d’élaborer un cadre juridique ad hoc pour les enfants influenceurs n’exerçant pas leur activité dans le cadre d’une relation de travail ;

·         de responsabiliser les plates-formes de partage de vidéos ;

·         d’ouvrir l’exercice du droit à l’effacement numérique à tous les enfants.

2. Cette proposition de loi vient ainsi combler un vide juridique ce qui était vraiment urgent. En effet, il convient de rappeler que, par principe, le travail des enfants est interdit. De nombreux textes internationaux, européens et de droit interne (français) viennent d’ailleurs consacrer ce droit fondamental. Toutefois, par exception, certains enfants ont le droit de travailler : il en est ainsi des enfants artistes (comédiens, chanteurs, danseurs, etc.). Le travail de ces enfants artistes est réglementé par le droit français aux articles L. 7124-1 à L. 7124-35 ainsi qu’aux articles R. 7124-1 à R. 7124-38 du Code du travail. Ces articles traitent des conditions d’accès à ces métiers, des horaires de travail, de la rémunération, etc. Ils permettent une protection minimale de ces enfants dans l’exercice de leur activité.

3. Mais « qu’en est-il de l’exposition des enfants dans les médias sociaux, sur internet ou par la téléréalité (cas des États-Unis) ? S’agit-il d’un travail ? ». La réponse à cette question est, au vu de notre sujet d’étude, bien évidemment négative. Ces enfants échappent donc (pour le moment) au régime d’autorisation individuelle préalable prévu par le Code du travail (C.trav.art. L.7124-1 – appliqué aux enfants artistes). Or il s’agit bien là d’un problème, puisque de nos jours, de plus en plus d’enfants dits « influenceurs » exercent des activités à des fins lucratives (partenariats publicitaires pour le placement de produits, monétisation des vidéos, etc.), sur les médias sociaux (YouTube, TikTok, Instagram, etc.). Le tout, généralement instrumentalisé par des parents qui souhaitent à tout prix que leur enfant devienne la star des réseaux.

4. Par conséquent, découlent de cette pratique un grand nombre de difficultés : tout d’abord, certains enfants exercent cette activité dans le cadre d’une relation de travail et ne sont aucunement reconnus par le Code du travail comme effectuant un « travail ». Or « une décision judiciaire peut à tout moment requalifier la prestation fournie en relation de travail, ce qui expose les producteurs et réalisateurs – en général les parents ou leur famille proche – à une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (C.trav.art. L8224-2). Ensuite, certains enfants n’exercent pas cette activité dans le cadre d’une relation de travail mais peuvent tout de même être considérés comme des influenceurs et percevoir d’importants revenus. En effet, « certaines vidéos ne font l’objet d’aucune monétisation ; l’enfant ne reçoit pas nécessairement de consignes ou d’ordres de la part du réalisateur producteur de la vidéo ». Or sans réglementation, les revenus de l’enfant ne sont pas protégés (ils reviennent par principe au détenteur de l’autorité parentale). Enfin, une autre difficulté résulte du fait que certains parents publient des vidéos de leurs enfants, sans leur consentement et sans qu’il soit possible pour eux de les effacer ultérieurement.

5. D’un autre côté, vient s’ajouter à ces problèmes, l’absence de responsabilisation des plates-formes de partage de vidéos (tels que les médias sociaux). Or cela contribue à la multiplication de ce phénomène. En effet, les médias sociaux permettent, sur le fondement juridique de l’autorité parentale, un contournement de leurs conditions générales d’utilisation. Dans cet ordre d’idées, cela « revient pratiquement à accorder le droit à un mineur [de moins de 13 ans] de posséder un compte sur un réseau social, à ceci près qu’il n’a pas le contrôle de son image ni le droit au respect de sa vie privée et que son consentement n’est pas toujours donné (il en est ainsi notamment des très jeunes enfants, au regard de l’article 16 de la convention internationale des droits de l’enfant) ». L’ensemble de ces éléments permettent la prolifération de dérives mettant en danger les enfants (santé psychique, cyber-harcèlement, pédopornographie – absence de garantie sur la durée de leur travail et de protection de leurs revenus).

6. De ce fait, sans encadrement, un enfant de 4 ans peut en toute hypothèse travailler 6 heures par jour, tous les jours de la semaine, et ne percevoir aucun salaire. C’est pourquoi de nombreuses voix se sont élevées en France et à l’étranger pour alerter les États sur les dangers résultant de ce vide juridique et pour demander l’encadrement légal de ces nouvelles formes de travail. Présentement, seule la France a répondu à l’appel (proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture), ce qui la rend par conséquent pionnière en la matière. Ainsi, en cas de promulgation de la loi, cela pourrait conduire un grand nombre d’États à œuvrer dans ce sens. Les enjeux induits par cette proposition de loi sont donc de taille ! C’est pourquoi le modèle français se doit d’être complet pour conduire à des résultats pratiques effectifs.

7. En ce sens, nous sommes en droit de nous demander si cette proposition de loi permet (au-delà du fait qu’elle vient combler un vide juridique, ce qui doit être salué) de lutter efficacement contre les risques résultant de l’exploitation commerciale de l’image des enfants dans les médias sociaux. Répondre à cette question nous conduira à nous intéresser aux différents mécanismes juridiques proposés par cette loi (allant du plus contraignant – autorisation individuelle – au moins contraignant – déclaration de diffusion). Cette première analyse nous permettra d’une part de comprendre les multiples avantages tirés de ces mécanismes et d’autre part de déterminer si le degré de protection, établi par chacun d’entre eux, est à même de protéger suffisamment les enfants qu’ils concernent.

8. À la suite de cela, il conviendra de porter notre attention sur un autre thème important mis en avant par cette loi, à savoir la responsabilisation des plates-formes de partage de vidéos, puisqu’il s’agit là d’un point dont la mise en œuvre pratique échapperait en partie au contrôle de l’État (système reposant sur la base d’une collaboration et d’un devoir d’information – ouverture de l’exercice du droit à « l’oubli numérique »). Notre objectif sera donc de déterminer s’il subsiste des manques à la responsabilisation de ces plates-formes en ligne et si tel est le cas, nous essaierons de présenter des solutions tendant à consolider les objectifs poursuivis par la proposition de loi (II). Enfin, l’ensemble de cette étude nous permettra de mettre en avant les points forts et les points qui devraient, à notre sens, être renforcés, pour une meilleure protection des enfants en ce domaine spécifique du droit.

I – La France pionnière dans l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans dans les médias sociaux : quels sont les enfants concernés ?

9. La proposition de loi venant encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants dans les médias sociaux ne s’adresse pas à tous les enfants. Elle concerne seulement ceux qui remplissent les conditions permettant d’établir une relation de travail (régime d’autorisation individuelle préalable) (A) et ceux qui remplissent certaines de ces conditions (lorsque sont perçus des revenus directs ou indirects « élevés » ou bien lorsque la durée cumulée ou le nombre de contenus diffusés atteint un seuil « élevé ») sans pour autant conclure à l’établissement d’une relation de travail (cadre juridique ad hoc – déclaration de diffusion) (B). Procédons à l’analyse de ces deux axes d’étude.

A – Dans le cadre d’une relation de travail : extension du régime d’autorisation individuelle préalable aux enfants influenceurs

1 – La demande d’autorisation individuelle pour le mineur

10. Le premier article de la proposition de loi étend le régime d’autorisation individuelle préalable actuellement appliqué aux enfants artistes, « aux enfants figurant dans des vidéos diffusées sur les services en ligne » dès lors que leur activité relève d’une relation de travail (une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination – producteur/réalisateur de contenus). En l’état actuel du droit, le métier d’enfant artiste est réglementé aux articles L. 7124-1 à L. 7124-35 ainsi qu’aux articles R. 7124-1 à R. 7124-38 du Code du travail. En conséquence, au sens de l’article 1er de la nouvelle loi, « les enfants engagés ou produits en vue d’une diffusion sur un service de média audiovisuel à la demande ; d’autre part, les enfants dont l’image est diffusée à titre lucratif sur des plates-formes de partage de vidéos » devront pour exercer leur activité en tant qu’« enfant influenceur », faire une demande d’autorisation individuelle auprès du préfet. Cette obligation devrait figurer au sein de l’article L. 7124-1, 5° du Code du travail.

11. Il est également prévu au sein de cette disposition qu’en cas d’obtention de l’autorisation individuelle, l’autorité administrative délivre une information aux parents, relative aux droits de l’enfant (modalité de réalisation des vidéos, conséquence de l’exposition de son image, etc.). Enfin, l’employeur qui méconnait ces dispositions encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 euros (C.trav.art. L124-22).

12. Il ressort de ces dispositions de nombreux points positifs. Tout d’abord, elles viennent combler un vide juridique. Ensuite, elles permettent de reconnaître, d’un point de vue juridique, le travail des enfants influenceurs de moins de 16 ans, (dès lors que les conditions nécessaires à cette qualification sont réunies). Enfin, elles assurent l’application de divers contrôles portant sur la santé du mineur, son assiduité scolaire, ses heures de travail et la protection de ses revenus. En conséquence, l’initiative d’une réglementation en ce domaine est tout à fait louable et permettra assurément de protéger davantage ces enfants dont l’image est exploitée commercialement dans des médias sociaux.

2 – La demande d’agrément pour les parents ou le tuteur légal

13. À présent, dans le cadre précis de l’exploitation de l’image commerciale des enfants sur les plates-formes en ligne, il convient de souligner que la publication de contenus est fréquente (quotidienne, hebdomadaire). Dès lors, faire une demande d’autorisation individuelle à chaque nouveau contenu serait compliqué. C’est pourquoi le premier article de la loi propose aux alinéas 9 et 10 que les employeurs, par exemple les parents, puissent solliciter le même agrément que les agences de mannequins. Ainsi, la proposition de loi suggère la création d’un article 7124-3-1 à la section I du chapitre IV du titre II du Code du travail qui disposerait que « L’autorisation individuelle mentionnée au 5° de l’article L. 7124-1 n’est pas requise lorsque l’employeur a obtenu un agrément lui permettant d’engager des enfants de moins de 16 ans » et la modification de l’article L. 7124-5 du même code qui viendrait préciser les modalités de délivrance de l’agrément (durée déterminée renouvelable, retrait, suspension pour une durée limitée).

14. La mise en place de ce dispositif dérogatoire a pour avantage de s’adapter à la réalité pratique. Toutefois, dans le cas où cette loi serait définitivement adoptée, il faut espérer que la commission chargée de l’instruction de la demande d’autorisation individuelle et de la demande d’agrément soit très attentive au rôle que l’enfant sera appelé à jouer sur ces plates-formes en ligne. En effet, à regarder certaines chaînes YouTube d’enfants influenceurs, on trouve des vidéos au contenu à chaque fois plus surprenant (dans une logique concurrentielle), telles qu’« on mange que de la nourriture orange pendant 24 heures » ou bien « 24 heures sur la table ! ! Sans toucher le sol de A à Z ! – Challenge ». Aujourd’hui, ces vidéos peuvent être diffusées sans aucun problème. Dès lors, au nom de l’éthique, se pose la question de savoir quel contenu pourra ou non faire l’objet d’un avis favorable auprès de la commission. Si les rapports de la proposition de loi n’ont pas abordé ce point, on imagine qu’elle fera l’objet d’observations ultérieures.

3 – Les heures de travail

15. L’extension du régime d’autorisation individuelle préalable aux enfants influenceurs permettrait l’encadrement des heures de travail (C.trav.art. L7124-6 à C. trav. art. L7124-8; C.trav.art. L L 7124-7 àC.trav.art. R. 7124-30-2). Ainsi, en cas de non-respect de ces dispositions, l’employeur encourait jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 euros (C.trav.art. L 7124-24). Sur ce point, le rapport de la proposition de loi précise que les durées de travail quotidienne et hebdomadaire seront déterminées par un décret en Conseil d’État. Sur ce point, il convient d’être attentif, puisque le travail de l’enfant s’effectue au sein de son foyer (sans le regard de personnes extérieures, et les parents peuvent être aussi les employeurs), il est aisé de passer outre le nombre d’heures autorisé (cas de la diffusion différée). Pour pallier cette difficulté, il conviendrait de faire une étude de terrain qui se baserait sur un certain nombre de critères tels que la durée d’une vidéo, la fréquence de diffusion des contenus, le temps « moyen » de préparation pour la diffusion d’un contenu, afin de pouvoir déterminer le nombre d’heures de travail effectué.

4 – La rémunération des enfants influenceurs

16. En l’état actuel du droit,  l' article L.7124-9 du Code du Travail prévoit que « les parents ou le tuteur légal ont le droit de percevoir une partie des revenus de leur enfant. La justification juridique de ce droit repose (…) sur la notion d’“intérêt de l’enfant” ». Toutefois, le Code du travail pose une limite et dispose que le « surplus » doit être versé sur un compte de dépôt ouvert à la Caisse des dépôts et consignations  (C.trav.art. L 7124-9). Le montant du surplus est déterminé par la commission chargée de valider l’autorisation de travail ( C.trav.art. R. 7124-31 ». Enfin, l'article L 7124-25 du Code du Travail précise les sanctions appliquées en cas de non-respect de ces dispositions : une amende de 3 750 euros et en cas de récidive, une peine de prison de 4 mois et une amende de 7 500 euros.

17. Ce dispositif est essentiel et vient parachever la protection des mineurs surexposés dans les médias sociaux. En effet, trop de parents finissent par arrêter leur activité professionnelle afin de se consacrer entièrement à la carrière de leur enfant, pour en tirer un maximum de profits. Dès lors, cette mesure garantit à l’enfant de pouvoir récupérer à sa majorité les fruits de son travail. Toutefois, cette obligation se heurte à quelques difficultés d’ordre pratique. En effet, en règle générale, « les rémunérations de cet écosystème sont assez complexes. Pas évident de trancher entre la publicité en ligne, les placements de produits, et les autres avantages en nature comme les cadeaux, les voyages ». De même, lorsque sur certaines vidéos, l’on aperçoit plusieurs personnes, se pose la question de savoir comment seront répartis les gains (quid des revenus perçus pour la monétisation des vidéos) ? Il est donc important que le décret en Conseil d’État éclaircisse ces points et mette en avant des solutions concrètes.

B – Hors du cadre d’une relation de travail : application d’un cadre juridique ad hoc protégeant l’intérêt des enfants

18. Dans nos précédents développements, il a été dit que l’article 1 de la proposition de loi avait pour objet d’étendre le régime d’autorisation individuelle aux enfants influenceurs dès lors qu’au regard du droit, une relation de travail pouvait être établie. Se pose donc à présent, la question de savoir quel sera le sort réservé aux enfants qui ne relèvent pas à proprement parler d’une relation de travail (prestation de travail, rémunération, lien de subordination). Pour eux, la proposition de loi met en avant via son article 3 « un cadre juridique ad hocprotégeant les intérêts des enfants ». Cette disposition est essentielle, puisqu’elle permet de couvrir un grand nombre de situations.

19. Dans cet ordre d’idées, l’article 3-I de la proposition de loi soumet la diffusion de l’image de l’enfant par un service de plate-forme de partage de vidéos à une déclaration de diffusion auprès de l’autorité compétente (la direction départementale de la cohésion sociale). Une fois cette démarche effectuée, l’autorité compétente enverra aux parents de l’enfant une série de recommandations (nombre d’heures de travail, informations sur les divers risques liés à cette activité). En revanche, il convient de souligner que cette déclaration de diffusion est seulement exigée « lorsque la durée cumulée ou le nombre de ces contenus excède, sur une période de temps donnée, un seuil fixé par décret en Conseil d’État » (article 3-I (1°)) ou bien lorsque « la diffusion de ces contenus produit, au profit de la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la diffusion de celui-ci, des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’État » (article 3-I (2°)). Dans ce dernier cas, les revenus devront, comme dans l’article l de la proposition de loi, être versés à la Caisse des dépôts et consignations (article 3-III) jusqu’à la majorité de l’enfant. En cas de non-respect, l’article 3-IV, prévoit une amende de 75 000 euros.

20. D’après ces dispositions, l’on constate que l’article 3 de la proposition de loi dispose d’un régime plus souple que celui imposé par l’article 1. En effet, l’article 3-II ne met en avant que des recommandations à destination des familles, ce qui signifie qu’il est possible, en toute hypothèse, de passer outre celles-ci sans pour autant être contrôlé (contrôle des heures de travail). Dès lors, il est fort probable que de nombreux parents, pour éviter de se voir appliquer les contraintes imposées par le régime de l’autorisation individuelle, visé à article 1 de la loi, usent de subterfuges pour se voir appliquer le régime plus souple de la déclaration de diffusion, visé à l’article 3. En fin de compte, le réel avantage tiré de cette disposition repose avant tout sur la protection des revenus des enfants. Pour le reste, le décret d’application aura donc un rôle important à jouer.



II – Les plates-formes de partage de vidéos au service d’une protection effective des enfants ?

21. Les articles 2, 4 et 5 de la proposition de loi tendent à responsabiliser les plates-formes de partage de vidéos. Toutefois, le dispositif prévu est-il suffisant ou au contraire devrait-il être complété ? Pour répondre à cette question, nous essaierons de déterminer les risques subsistant à la responsabilisation des plates-formes en ligne, afin de savoir s’il serait possible de les résorber à travers la création de nouveaux mécanismes (A). Enfin, dans un dernier temps, nous nous attarderons sur la mise en place du droit à « l’oubli numérique », afin d’évaluer la pertinence de ce nouveau mécanisme dans sa possible mise en œuvre pratique (B).

A – Les risques subsistant à la responsabilisation des plates-formes de partage de vidéos

22. L’article 2 de la proposition de loi introduit une « obligation, pour les plates-formes de partage de vidéos, de faire cesser la diffusion de contenus méconnaissant l’obligation d’autorisation » ou d’agrément préalable (pour les cas relevant des articles 1 et 3-I (2°)). En conséquence, lorsque les parents ou le tuteur légal exploitant l’image commerciale de leur enfant dans le cadre d’une relation de travail n’auront pas fait une demande d’autorisation individuelle ou d’agrément préalable, l’autorité administrative compétente pourra alors saisir le juge des référés, afin qu’il puisse ordonner « toute mesure propre à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite ».

23. Selon cette analyse, il semble que cette disposition ne soit pas applicable aux enfants relevant du régime de la déclaration de diffusion (article 3-I (1°) de la proposition de loi). En effet, si l’on se réfère aux commentaires du rapport de la proposition de la loi (tome 1) au sujet de l’article 4, il est soutenu que les plates-formes de partage de vidéos devront « coopérer avec les services de l’État afin que tous les contenus dans lesquels apparaissent des mineurs de moins de 16 ans, téléversés depuis le territoire français et qui sont source de revenus pour les services de plate-forme, soient signalés à l’autorité administrative compétente ». Ainsi, au vu de cet énoncé, sont visés les enfants relevant de l’article 1 de la proposition de loi ainsi que ceux relevant de l’article 3-I (2°), ce qui exclut les enfants relevant de l’article 3-I (1°). Or opter pour un tel raisonnement induit l’idée que l’aspect monétaire visé à l’article 1 et à l’article 3-I (2°) prévaut sur la durée des contenus visés à l’article 3-I (1°), ce qui est contraire à l’intérêt des enfants. Dès lors, il devrait être fait abstraction de ce critère pour y inclure également les enfants visés à l’article 3-I (1°).

24. Hormis ce point, ces dispositions ont pour avantage d’impliquer davantage les services de plates-formes en ligne dans la protection des enfants. Mais pour un résultat optimal, ces derniers devront assurément mettre en place des outils pédagogiques variés, destinés à œuvrer en ce sens. De quels outils pourrait-il s’agir ? Pour répondre à cette question, nous allons nous attarder dans les prochains développements sur la création d’un outil ayant pour but d’appuyer les objectifs poursuivis par la proposition de loi. Ainsi, au sens de notre proposition, il s’agirait de créer un outil, à l’image du guide sur la gestion de l’espace de stockage sur Mac, qui permettrait de visualiser à partir du compte utilisateur d’un média social, la durée restante (au regard des critères imposés par l’article 3-I (1°) et (2°) puis spécifié par le décret) avant de devoir effectuer une demande d’autorisation individuelle, une demande d’agrément ou encore une déclaration de diffusion auprès de l’autorité administrative compétente. En pratique, pour avoir accès à cet outil, il faudrait lors de la création d’un compte faisant intervenir un enfant sur une plate-forme de partage de vidéos, demander aux parents de transmettre à la plate-forme en ligne (sous peine de suspension du compte) la photocopie d’une pièce attestant de l’identité du mineur.

25. Par suite de cette étape, il serait généré dans la partie compte de l’utilisateur, un nouvel onglet dit « diffusion d’image », qui permettrait de visualiser le pourcentage utilisé par les différentes catégories (durée, salaires, etc.) figurant dans le décret (à l’aide d’un graphique-jauge). Pour cela, il suffirait de déplacer « le curseur sur une couleur pour voir la quantité d’espace que chaque catégorie utilise. L’espace blanc représente(rait) l’espace de stockage libre ». Ainsi, lorsque l’espace utilisé apparaissant dans le graphique-jauge atteindrait 70 %, une alerte (à l’image des bannières publicitaires web) serait automatiquement générée sur le compte de l’utilisateur à chaque nouvelle connexion, afin de lui rappeler l’espace restant ainsi que ses obligations légales, afin qu’il se conforme à la législation en vigueur, sous peine de suspension ou de résiliation du compte. En parallèle, des mails pourraient également être envoyés, avec la même finalité. Pour terminer, l’ensemble de ces procédés devrait figurer dans les conditions générales d’utilisation du média social.

26. La mise en œuvre de cette idée aurait pour avantage de s’assurer, d’une part, que les parents ont eu le temps de se mettre en conformité avec la législation en vigueur, et d’autre part permettrait aux services de plates-formes en ligne diffusant l’image du mineur de démontrer leur réelle volonté d’œuvrer pour la protection des mineurs. Bien entendu, pour que le graphique-jauge soit effectif, il faudrait que l’ensemble des principaux médias sociaux collaborent entre eux afin que le pourcentage apparaissant dans l’onglet « diffusion d’image » de chaque compte utilisateur, soit le même. Par exemple, si un mineur diffuse son image dans le cadre d’une chaîne YouTube et d’une chaîne TikTok, et que l’ensemble des contenus diffusés au sein de ces deux chaînes représente 75 % du graphique-jauge, alors ce résultat devrait être visualisé aussi bien sur le compte YouTube que sur le compte TikTok, sans quoi l’effectivité de ce procédé serait nulle. En effet, si chaque média social utilise son propre graphique-jauge, on pourrait alors constater des pourcentages distincts suivant l’utilisation du média par le mineur. De la sorte, il est certain qu’il serait difficile pour les parents du mineur de se mettre en conformité avec la législation (notamment au regard de l’article 3-I (1°). Toutefois, cette coopération entre les médias sociaux peut, en pratique, être difficile à mettre en place, et c’est pourquoi cette idée devrait provenir d’abord d’une initiative gouvernementale, qui s’imposerait par la suite à l’ensemble des médias sociaux.

B – L’ouverture au mineur de l’exercice du droit d’effacement ou le droit à « l’oubli numérique » : un droit de portée générale s’adressant à tous les enfants ?

27. L’autre grande nouveauté que l’on peut retrouver au sein de cette proposition, c’est l’ouverture du « droit à l’effacement aux mineurs dont l’image est diffusée par une plate-forme de partage de vidéos ». Ce droit est évoqué à l’article 5 qui dispose que « sur demande de la personne concernée, y compris lorsque celle-ci est mineure, le service de plate-forme de partage de vidéos est tenu de faire cesser dans les meilleurs délais la diffusion de l’image du demandeur lorsque celui-ci était mineur à la date de ladite diffusion ». En effet, pour justifier ce procédé inédit, le tome I du rapport de la proposition de loi rappelle qu’« en raison de l’incapacité juridique dans laquelle sont placés les mineurs, le droit d’effacement qui leur est reconnu ne peut être exercé que par le titulaire de l’autorité parentale ». Or il existe de nombreuses situations dans lesquelles les parents sont responsables de la diffusion de contenus faisant apparaître leurs enfants et trouvent un intérêt, notamment financier, à ce que ces contenus restent en ligne. Aussi, l’article 5 autorise les mineurs à exercer eux-mêmes leur droit à l’effacement lorsque leur image est diffusée par un service de plate-forme de partage de vidéos, y compris dans les cas où leurs représentants légaux s’y opposeraient ». L’article 5 viendrait ainsi compléter, élargir et renforcer les dispositions actuelles en ce domaine (L n° 2016-1321, 7 oct.2016, art. 63, pour une République numérique ; ou encore L. n° 78-17, 6 janv.1978, art. 51, Informatique et libertés).

28. En conséquence, il semble que la mise en œuvre pratique de l’article 5 se calque sur la procédure en trois étapes de la Cnil. La première étape consiste à s’assurer que la photo et/ou prochainement la vidéo, permet de s’identifier. Ensuite, la seconde étape préconise de contacter le responsable du site sur lequel est publiée l’image et/ou prochainement la vidéo. En général, il faut mentionner dans le courriel les URL concernées, l’information à supprimer, le motif, ainsi que tous documents permettant de prouver son identité. Enfin, et de manière facultative, la procédure se termine sur la possibilité pour la personne n’ayant reçu aucune réponse satisfaisante de la part du site, du réseau social ou encore du service en ligne sous 1 mois, soit de contacter « la Cnil via son formulaire de plainte en ligne » soit de saisir une juridiction.

29. Il ressort de cette analyse un constat plutôt positif. Tout d’abord, parce que l’article 5 semble avoir une portée générale, puisqu’il s’adresse à tous les mineurs et non pas seulement aux enfants faisant l’objet d’une déclaration de diffusion ou d’une demande d’autorisation individuelle préalable. Ensuite, parce que cette disposition permettrait aux enfants de s’interroger sur les divers dangers pouvant découler de la diffusion de leur image. Toutefois, en pratique, la mise en œuvre d’un tel droit devrait être suffisamment réfléchie. En effet, puisque cette disposition s’adresse directement aux mineurs, les services de plates-formes de partage de vidéos devraient, dans cet ordre d’idées, mettre en place un système d’information pédagogique au service des mineurs. Il pourrait par exemple s’agir d’une « bannière informative » située en haut de la page internet (site, média social, etc.). Il y serait mentionné, en des termes simples, que le mineur a le droit d’effacer ses vidéos quand il le souhaite. De son côté, le gouvernement devrait également effectuer une large campagne de communication afin d’informer les parents et les enfants de ce nouveau droit.

30. En conclusion, il ressort de notre étude portant sur l’adoption de la loi relative à l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image des enfants sur les plates-formes en ligne, un bilan d’ensemble plutôt satisfaisant. L’exploitation des mécanismes existants (extension du régime de demande d’autorisation individuelle préalable aux enfants influenceurs) et la création de nouveaux mécanismes spécifiques à ces activités (déclaration de diffusion, ouverture de l’exercice du droit à l’oubli numérique, responsabilisation des plates-formes de partage de vidéos) sont là le reflet d’un travail précis qui permet de combler, à plusieurs niveaux, le vide juridique actuel. En effet, face à une variabilité d’aménagements possibles de ces activités (exercées dans le cadre d’une relation de travail établie, ou non établie, mais avec perceptions de revenus, etc.), il se dégageait plusieurs axes d’étude auxquels il fallait trouver des solutions, c’est ce qui apparait à la lecture de cette proposition de loi. Au vu de ces remarques, il est certain que toute l’attention devra se porter à présent sur le décret d’application. En effet, le flou résultant de l’article 3 et s’agissant des « seuils » qui ne sont pas encore déterminés, ni même donnés à titre indicatif, ou encore le manque de précision quant à l’application pratique des articles 2, 4 et 5 nous laissent en suspens. C’est pourquoi, nous en sommes venus à proposer la mise en place de certains mécanismes, dans le but de parfaire les objectifs poursuivis par cette proposition de loi.

Ainsi, au regard de la présente étude, nous recommandons :

·         de renforcer des conditions d’accès au métier d’enfant influenceur (établissement d’un bilan psychologique des parents et de l’enfant de plus de 6 ans, et un renouvellement d’agrément à effectuer tous les 6 mois) ;

·         d’imposer la création de nouveaux outils permettant de responsabiliser davantage les plates-formes de partage de vidéos (création d’un graphique jauge accessible à partir du compte de l’utilisateur, permettant d’alerter ce dernier – à partir d’un certain seuil – sur les possibles démarches à effectuer au regard de la réglementation en vigueur) ;

·         de créer un centre de gestion des médias sociaux pour faciliter le contrôle de la régularité des comptes ou chaîne exposant des mineurs.

Pour terminer, même si l’on doit saluer l’initiative française en ce domaine, il ne faut pas oublier que le régime de l’autorisation individuelle préalable ne doit pas être perçu comme une fin en soi : trop de risques y subsistent. Aussi, conseillons-nous de percevoir cette proposition de loi de manière symbolique, comme la première pierre posée dans une construction, qui, pour être achevée, devra garantir la protection de tous les enfants concernés par ces activités.



 

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